Failles juridiques
Objet : Argumentaire sur les failles juridiques persistantes de notre politique de lutte contre le
terrorisme
(Rédacteur : Philippe FRANCESCHI)
Au moment où l’on célèbre le premier anniversaire des attentats du 13 novembre 2015, et devant la
posture de compassion de nos gouvernants qui préfèrent se réfugier derrière le fait que le risque
zéro n’existe pas, les français doivent savoir qu’on leur ment et que les lacunes juridiques qui
existaient dans notre politique de lutte contre le terrorisme persistent encore aujourd’hui. Notre État
de droit ne s’est pas adapté à la menace, pour des questions idéologiques. Les auditions de la
commission d’enquête parlementaire sur les moyens mis en oeuvre par l’État après le 07 janvier
2015, que j’ai lues, en particulier celles des directeurs de nos services de renseignement, DGSI,
DGSE et DRM (http://www.assemblee-nationale.fr/14/rap-enq/r3922-t2.asp) n’ont rien changé. Les
lacunes qui y sont évoquées n’ont pas été comblées. Avant que ne surviennent de nouveaux
attentats, on ne pourra pas dire qu’on ne savait pas.
Sur les interceptions de sécurité
Lorsqu’un individu qui fait l’objet d’interceptions de sécurité administratives (écoutes) par les
services de renseignement est mis en examen par la justice, ses écoutes deviennent judiciaires et
seuls les services judiciaires sont alors habilités à en connaître le contenu, secret de l’instruction et
respect des droits de la défense obligent. Aucune technique de renseignement ne peut plus être mise
en oeuvre. Ce fut le cas pour Samy Amimour, un des terroriste du Bataclan. La DGSI a, ainsi,
été privée des renseignements contenus dans ses écoutes judiciaires et donc de son suivi. Cet «
angle mort » n’a pas été pris en considération, ni dans le cadre de la loi Renseignement, ni dans
celui de l’état d’urgence. Ce n’est pas moi qui le dit, c’est Patrick CALVART, le DGSI, page 820 du
rapport des auditions. Un apprenti terroriste a donc intérêt a se faire repérer et mettre en examen
pour ne plus être écouté par la DGSI…Plus de 250 sont mis en examen actuellement. Ce fut une
nouvelle fois le cas pour Karim Cheurfi, le terroriste meurtrier d’un policier lors de l’attentat
des Champs-Elysees du 20 avris 2017.
Sur les saisies judiciaires
Deuxième exemple et autre faille, cette fois-ci concernant les saisies judiciaires lors de perquisitions
(téléphone portable, ordinateur, etc.) qui seraient très utiles aux services de renseignement. Le Code
de procédure pénale et le secret de l’instruction empêchent que ces objets puissent leur être remis,
pour la même raison de séparation des pouvoirs. C’est Bernard BAJOLET, le DGSE qui le dit page
866 du rapport des auditions. Par exemple, cette situation place la DGSI dans une position délicate
vis-à-vis de la DSGE, car la DGSI a la compétence de police judiciaire, mais elle n’a pas le droit de
lui transmettre ces informations. Dans certains pays de droit européen et outre-Atlantique, les juges
autorisent qu’une copie des contenus leur soit remise, question de bon sens et d’efficacité. Eh bien,
toujours pas chez nous ! Georges Fenech, le président de la commission d’enquête avait promis de
s’intéresser à cette question, mais rien ne figure dans ses propositions.
Pour ce qui est des métadonnées
La question se pose de la pertinence de la séparation entre le renseignement et le judiciaire, dès lors
qu’il s’agit d’analyser ces métadonnées et de les croiser. Américains et Britanniques, notamment, les
rassemblent à des fins opérationnelles alors que notre loi ne le permet pas. Cela est dommageable à
l’action d’anticipation. C’est encore Patrick Calvart, le DGSI qui le dit, page 818 du rapport
d’auditions. Des décrets de août 2017 permettent désormais la consultation simultanée et
automatisée dans le cadre d’enquête de sécurité de 7 fichiers de police et de gendarmerie.
Les retours des Djihadistes
La loi 2016-731 du 03 juin 2016 « renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur
financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale » a prévu dans son
article 52, une simple assignation à résidence d’une durée maximale d’un mois, éventuellement
renouvelable une fois, pour des individus de retour du djihad contre lesquels il n’y aurait pas
d’éléments suffisants pour justifier une mise en examen. Ce dispositif ne permet en aucune façon
d’anticiper le retour probable de centaines de djihadistes sur notre territoire qui seront ainsi laissés
en liberté, avec toutes les conséquences que l’on peut imaginer (voir page 467 du rapport
d’auditions). Le gouvernement a déposé le 22 septembre 2016 au bureau du Sénat, un projet de loi
autorisant la ratification du protocole additionnel à la convention du Conseil de l’Europe pour la
prévention du terrorisme. Ce dernier préconise l’incrimination de certains actes liés à des infractions
terroristes, comme le fait de « se rendre à l’étranger à des fins de terrorisme », ou de tenter de s’y
rendre. Il y a urgence de ratifier ce protocole afin d’adapter notre droit interne et de créer enfin un
délit spécifique de départ pour le djihad, avec un effet rétroactif, assorti d’une mise en détention
provisoire automatique, permettant de judiciariser systématiquement la situation des djihadistes dès
leur retour sur le territoire national.
Les sorties de prison
Larossi Aballa, le tueur du couple de policiers de Magnanville était sorti de prison en 2013 après
trois ans de détention. Il n’y a pas actuellement de débat national sur le sujet de la rétention
judiciaire permettant de ne pas libérer un individu tant qu’il est considéré comme dangereux. La
moyenne des condamnations variant entre cinq à sept ans, plusieurs centaines de djihadistes ou
candidats au djihad sont concernés dans les prochaines années, sans compter les centaines
actuellement en zone de combat chez l’EI et qui rentreraient.
TERRORISME ISLAMISTE :
Entre manquements, laisser-aller et occasions ratées
Philippe Franceschi Consultant en sécurité
Cela fait plus de trente ans que les « services » de renseignement alertent sur la montée de l’islam
radical dans notre pays, sans réaction des autorités politiques comme pétrifiées par le sujet ou par
intérêt électoraliste.
L’effet de sidération qui a suivi l’attentat islamiste au sein de la direction du renseignement de la
préfecture de police de Paris (DRPP) est la conséquence ultime d’un laisser-aller général ayant pour
origine le manque d’autorité, de fermeté et de volonté politique.
En effet, qui, dans l’administration policière, aujourd’hui, suivra un subordonné qui dénoncera un
collaborateur de radicalisation, de peur d’être accusé d’islamophobie ?
Selon Le Parisien, « 19 fonctionnaires du ministère de l’Intérieur – policiers et agents administratifs
– sont actuellement traités par le groupe de suivi de la radicalisation dans la police nationale, créé
au sein de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN). Au plus fort de l’activité de cette
instance active depuis 2015, une trentaine d’agents ont été surveillés sur toute la France. Aucun
membre d’un service de renseignement n’est suivi aujourd’hui mais, par le passé, quelques-uns ont
perdu leur habilitation secret-défense à la suite de soupçons de proximité avec des individus
radicalisés. »
Évidemment, on ne peut que constater l’insuffisance de la loi relative au renseignement de juillet
2015 puisque, malgré les moyens juridiques, humains et matériels supplémentaires apportés aux
services de renseignement, c’est dans le coeur de l’un d’eux que le terrorisme a frappé. Nos
parlementaires frileux ont même adopté, à cette occasion, un amendement interdisant aux services
pénitentiaires de recourir aux techniques du renseignement sur pression du garde des Sceaux, Mme
Taubira. Les mesures préventives de détection d’agents radicalisés n’ont pas été plus efficaces, pas
plus que n’a été mis en place un contrôle extérieur de la DRPP. Aujourd’hui, le risque de terrorisme
endogène s’étant accru, il apparaît impératif de réévaluer également l’efficacité, l’organisation et le
contrôle extérieur du renseignement territorial (RT) destiné à détecter les signaux faibles de
radicalisation sur l’ensemble du territoire.
D’autre part, la loi du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le
terrorisme a instauré une interdiction de sortie du territoire pour les apprentis djihadistes alors qu’il
aurait fallu, au contraire, laisser les impétrants quitter le territoire et, surtout, interdire tout retour
par tous les moyens. Rappelons-nous que l’égorgeur du père Hamel est passé à l’acte sur le
territoire parce qu’on lui avait interdit de quitter notre sol. Aujourd’hui, on accepte le retour de nos
djihadistes du Levant, véritables bombes à retardement, sous prétexte qu’ils seront mieux surveillés
chez nous… On peut légitimement en douter, compte tenu du dernier attentat à la préfecture de
police.
De même, la proposition d’instauration de la déchéance ou perte de nationalité française dans les
affaires de terrorisme, faite devant la représentation nationale réunie en Congrès à Versailles, lancée
par François Hollande au lendemain du 13 novembre 2015, a rapidement fait « pshitt » sous une
nouvelle pression du politiquement correct ! Pourtant cette mesure, appliquée aux djihadistes, aux
jugements terroristes, assortie d’une expulsion du territoire et associée à l’expulsion des fichés « S »
étrangers, permettrait de dégonfler le volume des personnes à surveiller qui n’en finit pas de grossir
et dont on voit bien les difficultés de surveillance.
Par ailleurs, plusieurs centaines de condamnés pour terrorisme sortiront de prison dans les années à
venir et nous n’avons pris aucune mesure de rétention judiciaire à leur égard, comme pour les
crimes sexuels, concernant les peines de moins de 15 ans (majorité des peines pour terrorisme). Le
débat, un moment apparu, a aussi vite disparu du paysage politique et médiatique !
L’élection d’Emmanuel Macron n’a pas signifié le début d’un nouveau monde, mais la fin
d’un cycle commencé en mai 1968 caractérisé par l’affaissement de l’autorité de l’État, qui
n’ose plus s’imposer et, au final, la prise du pouvoir politique par le monde des affaires. Nous
allons payer chèrement ces manquements, laisser-aller et occasions ratées.
https://www.youtube.com/watch?v=359_qU38f-Q&feature=youtu.be
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